Quatre ingénieurs des missions Apollo à la rencontre de futurs ingénieurs
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Pour les 50 ans de la mission Apollo 11 et du premier pas sur la Lune, quatre ingénieurs de la NASA sont venus partager leur expérience auprès d’un public étudiant nombreux et attentif. Manfred Von Ehrenfried, Gerry Griffin, Sy Liebergot et Bill Moon, ont piloté l’Odyssée des missions Apollo (de 7 à 17) depuis la salle de contrôle de Houston, USA. Le retour vers la Lune en question(s).
Cette conférence « To the Moon back and forward » conjointement organisée à l’ISAE-SUPAERO par Stéphanie Lizy-Destrez, des étudiantes et étudiants, et le club espace de l’ISAE-SUPAERO a été l’occasion de revenir sur la conquête de la Lune et de se projeter dans le futur de l’exploration spatiale. Morceaux choisis du jeu des questions réponses, des impressions d’une étudiante et d’un doctorant.
Qu’est-ce qui rend les missions lunaires si spécifiques par rapport aux autres missions ?
- Gerry Griffin (directeur de vol pour Apollo) : Tous les vols spatiaux sont difficiles et risqués. Il faut beaucoup d’énergie pour aller en orbite et encore davantage pour aller sur la Lune. Ce qui fait la différence avec les missions précédentes même si certaines étaient des premières, c’est qu’en allant sur la Lune, l’homme quittait la Terre et son orbite pour la première fois pour poser le pied sur un sol extraterrestre.
- Manfred “Dutch” von Ehrenfried (contrôleur de vol, testeur de combinaison pour Apollo ou encore ingénieur sur les missions Apollo 7 et Apollo 8) : En allant sur la Lune, on est passé de l’imagination à la réalité, d’une opération de vol en temps réel pour atteindre cet objectif.
- Sy Liebergot (poste de EECOM sur les missions Apollo 8 à 15, avec un rôle essentiel sur Apollo 13) : La Lune attire l’homme depuis toujours et a une influence mécanique sur la Terre et ses habitants. Maintenant, c’est de nouveau la course pour retourner sur la lune. La Chine veut y aller en premier et nous ne pouvons pas laisser cela se réaliser.
- Bill Moon (travaille à la console EECOM pour les missions Apollo 15-17) : Les missions Apollo ont permis de tester de nouvelles technologies. Les missions lunaires du futur seront aussi un grand terrain d’essai pour éprouver les technologies de colonisation de la Lune. L’homme étant par essence un explorateur Il nous faudra apprendre beaucoup de choses pour y retourner, y séjourner et repousser les limites.
Quelle a été la partie la plus difficile de votre travail ?
- Gerry Griffin : Composer avec « Dutch » n’a pas été facile (blague). Toutes les choses que nous avons faites n’étaient pas faciles, mais nous avions une bonne équipe. Nous avons appris aussi bien de nos réussites que de nos échecs. Vous voyez des photos de nous très sérieux mais nous nous sommes aussi bien amusés. Nous avions de bonnes relations et nous fêtions fréquemment nos succès.
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- Manfred “Dutch” von Ehrenfried : Même si on est parfaitement à l’aise dans son domaine technique, il faut pouvoir être capable de travailler avec différentes personnes et personnalités. Les problèmes viennent souvent des relations entre les personnes.
Pour réussir une mission il faut être en bonne relation avec toute l’équipe.
- Sy Liebergot : C’est quand j’ai regardé la console sur Apollo 13 et que j’ai vu « Que voulez-vous faire, EECOM ? » (Responsable des systèmes électriques et environnementaux des modules Apollo).
- Bill Moon : Avoir de bonnes relations avec toute l’équipe et garder comme objectif d’assurer la sécurité de l’équipage.
Quelles erreurs faut-il éviter pour retourner sur la Lune ?
- Gerry Griffin : Les ingénieurs sont bien formés et ils ne commettront pas les mêmes erreurs. Ils ont de meilleurs outils plus pratiques. Ils utilisent de nouvelles technologies, comme des ordinateurs portables puissants, des algorithmes…Malgré cela, les taches resteront tout aussi difficiles.
Bill Moon : Il y avait sur la navette spatiale, moins de mémoire que sur n’importe lequel de vos smarthphones.
- Manfred “Dutch” von Ehrenfried : Les problèmes à résoudre pour les vols spatiaux de longue durée restent nombreux. Ils ne concernent pas seulement le vaisseau. Il faut relever des défis, comme capturer la haute énergie de l’espace lointain, étudier le comportement des matériaux dans l’espace, améliorer les communications par l’optique...Il faudra aussi résoudre les problèmes médicaux liés à l’adaptation du corps humain dans l’espace. Nous devons toujours rechercher de nouvelles technologies pour atteindre nos objectifs.
- Sy Liebergot : Sans commettre les mêmes erreurs il reste beaucoup d’obstacles à surmonter, l’espace reste un milieu hostile, nous le savons par notre expérience passée. Que ce soit pour aller sur la Lune ou sur Mars, il faudra mettre au point des systèmes de propulsion plus rapides, mais aussi savoir pratiquer une chirurgie dans l’espace lors de long voyage ou séjour.
Pourquoi avons-nous tant attendu pour revenir ? Qu’est-ce qui nous a pris si longtemps ?
- Gerry Griffin : Quand j’étais directeur de vol sur Apollo 13, j’ai déclaré : « Nous serons sur Mars dans 20 ans » c’était en décembre 1972. L’espace est cher. Il faut une véritable volonté politique pour trouver des financements gouvernementaux et le soutien du public est indispensable. Toutes les conditions n’ont pas été réunies au cours de ces dernières années. Pourtant les personnels de la NASA sont vraiment bons, il y a des esprits brillants. Nous devons leur donner du travail. Je pense qu’une coopération financière internationale sera indispensable pour aller sur Mars, elle ne sera peut-être pas nécessaire pour revenir sur la Lune.
À l’époque, les gens hésitaient à investir dans les programmes de la NASA. Comment pensez-vous que les gens voient la NASA maintenant ?
- Manfred “Dutch” von Ehrenfried : Le budget de la NASA n’est pas très élevé. La majorité du budget des USA va au social et à la défense. La NASA a une meilleure réputation que les autres agences mondiales et possède une bonne avance technologique.
- Gerry Griffin : La NASA pour réussir doit bénéficier d’une volonté politique qui ne doit pas se démentir lors des changements de majorité comme lors des missions Apollo qui se sont déroulées sous trois présidences distinctes, Kennedy, Johnson et Nixon. Aucun de ces présidents n’a remis en cause l’objectif initial d’aller sur la Lune. Les congrès avaient travaillé ensemble pour y arriver. En ce moment nous sommes dans une période politique assez divisée et il n’est pas certain que nous y parvenions. Mais le public aime l’espace, il a besoin de savoir et d’apprendre ce qu’il se passe là-haut. Il a aussi le goût de la haute technologie et le savoir-faire que possède la NASA.
Pourquoi faire une Station orbitale autour de la Lune ? Ne serait-il pas plus facile de "simplement" mettre des gens sur la Lune ?
- Gerry Griffin : L’idée de la station spatiale n’a pas toujours eu sa place. Mais l’idée d’envoyer des robots sur la Lune a été abandonnée. Il est difficile de financer à la fois une station et un aterrisseur. La station (Gateway) peut-être une station-service (carburant), ce qui a du sens, c’est-à-dire un point de départ. Les changements d’administration peuvent être un problème pour la continuité d’un projet, une annulation est toujours possible. Je pense que l’idée de la station ne va pas se concrétiser. Allons atterrir plutôt. Mettons des astronautes à la surface même si nous n’avons pas d’atterrisseur pour le moment et en développer un d’ici 2024 est une tâche difficile. Nous avons pour le moment le module de commande (Orion) pour 4 personnes.
Que pensez-vous des nouveaux acteurs de l’industrie spatiale privées ? Vendent-ils trop de rêves en étant trop optimistes ? Soutenez-vous leurs projets ?
- Manfred « Dutch » von Ehrenfried : Nous soutenons tous les efforts de l’espace commercial. C’est fantastique de voir ces nouveaux véhicules réutilisables. La plupart d’entre eux sont destinés aux voyages rapides en orbite ou plus tard au tourisme sur la Lune. Par contre je ne pense pas qu’ils puissent aller sur Mars, le ticket d’entrée étant beaucoup plus élevé.
- Sy Liebergot : Je ne pense pas que la NASA coopère avec qui que ce soit. L’ISS est déjà financé principalement par la NASA. La station peut fonctionner sans les modules Colombus et le module russe.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes ingénieurs ou chercheurs ?
- Manfred “Dutch” von Ehrenfried : Pour réaliser un vaisseau spatial, il faut mettre en œuvre différentes disciplines d’ingénierie. Choisissez différentes spécialités. De nombreux postes seront aussi réservés à des médecins. Il y aura beaucoup de scientifiques de différentes spécialités dans la salle de contrôle. Vous avez le choix.
- Gerry Griffin : Soyez ouverts à toutes sortes d’opportunités. La plupart des gens disent : "Je veux faire ça et c’est tout". Un ingénieur, doit être ouvert et ne pas se limiter aux opportunités. Faites le tour de tout ce que vous pouvez faire pour atteindre votre objectif final. Et pourquoi ne pas devenir astronaute.
- Sy Liebergot : Faites de bonnes études, obtenez vos diplômes. Continuez pour toujours apporter un plus à votre employeur. Apollo a été créé par un groupe de personnes intelligentes qui pensaient efficacement. Il faut garder cela à l’esprit, et garder l’objectif en pointe de mire.
Pauline Delande est étudiante en Mastère Spécialisé TAS Astro et a participé à l’organisation de cet événement :
« J’étais intimidée de voir arriver sur scène ces hommes qui ont fait l’Histoire ! La conférence a été un très beau moment de partage intergénérationnel et j’ai été ravie de participer à l’organisation de cet événement. Nous avons pu tous échanger sur le passé et le futur de l’exploration de la Lune et identifier les nouveaux acteurs du spatial. Nous, étudiants et jeunes professionnels, avons surtout pu les entendre nous prodiguer de précieux conseils pour notre carrière dans le spatial. J’ai déjà eu l’occasion de travailler sur le sujet du "retour sur la Lune" grâce au projet SEEDS auquel j’ai participé l’an dernier dans le cadre de mon Master. Il est certain que je suivrai cette nouvelle épopée comme spectatrice avec grand intérêt... et si l’occasion s’en présente de pouvoir y apporter ma contribution comme ingénieure, tant les problématiques techniques sont intéressants et les challenges nombreux à relever. »
Emmanuel Blazquez est doctorant à l’ISAE-SUPAERO. Il a participé activement à la table ronde avec les ingénieurs américains. Le titre de sa thèse est : Optimisation des opérations de Rendez-vous et design du GNC dans une orbite de Halo Cislunaire NRHO. Nous sommes revenus avec lui sur cet événement et sur ses recherches dans le domaine spatial.
Pourquoi avoir choisi la Lune comme thème de vos recherches ?
Il y a deux aspects à prendre en compte. Le scientifique en moi répond que, d’un point de vue purement théorique, l’environnement cis-lunaire est extrêmement intéressant. Les phénomènes dynamiques et chaotiques que l’on y rencontre constituent un terrain de jeu idéal pour toute personne s’intéressant à la théorie des systèmes dynamiques et à la conception de trajectoires. Puis d’un point de vue personnel : nous ressentons tous une proximité toute particulière avec cet astre si familier, que l’on peut entrevoir et "toucher du doigt" presque tous les soirs. La Lune a toujours fasciné les chercheurs et les humains en général tout simplement parce que nous avons ce lien si spécial avec elle.
Qu’est-ce qui vous anime dans vos recherches ?
Faire de la recherche dans un domaine aussi pointu et pertinent que la mécanique orbitale est extrêmement simulant. C’est l’assurance que l’on travaille sur des thématiques très actuelles, en lien direct avec l’industrie et les agences spatiales. Nous contribuons à faire avancer l’exploration spatiale et à préparer les missions de demain, il n’y a pas meilleure source de motivation !
Quelle a été votre réaction quand vous avez su que vous alliez rencontrer ces ingénieurs ?
Pour nous, ces ingénieurs sont des héros et des pères fondateurs. Ils ont rendu possible l’impossible, ils ont créé et fait avancer la discipline qui est à la base de nos travaux d’aujourd’hui : l’ingénierie spatiale ! Etant moi-même ingénieur de formation, je les ai tout de suite identifiés à un idéal de réussite. Vous pouvez donc vous imaginer quelle a été ma réaction lorsque j’ai su que j’allais participer à une table ronde avec eux. Une opportunité incroyable, et quelle pression !
Qu’est-ce que ces échanges pendant et après la conférence vous ont apportés ?
Je ne vais pas vous mentir, les échanges ont été brefs car ils étaient sollicités de toutes parts ! J’ai été très ému par leur simplicité, et leur désir de transmettre leur passion et leur savoir aux générations actuelles et futures. Ils sont extrêmement dynamiques, et leur passion pour leur métier et le spatial en général est très contagieuse ! Ils m’ont conforté dans l’idée que j’avais fait le bon choix en suivant une formation qui me passionne. Ils m’ont assuré que ma recherche peut et doit contribuer à faire avancer les choses pour ne pas attendre 50 ans avant de poser à nouveau le pied sur la Lune !
Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Une opportunité exceptionnelle de rencontrer ceux qui ont contribués à construire l’industrie spatiale d’aujourd’hui. Ils ont fait rêver plusieurs générations et inspiré les plus grands chercheurs et ingénieurs du spatial d’aujourd’hui. C’est aussi de fantastiques êtres humains qui contribuent à transmettre la fièvre du spatial à tous ceux qui les rencontrent : on ne peut pas rêver meilleur exemple à suivre. Merci à l’ISAE et à ma directrice de thèse Stéphanie Lizy-Destrez de m’avoir offert l’opportunité de réaliser un rêve de (grand) enfant !
Où vous voyez vous dans 10 ans, avec quelle(s) mission(s) ?
Il est très difficile de se projeter aussi loin, dans un domaine comme le nôtre où les choses peuvent avancer tellement vite ! Idéalement dans dix ans je pourrai contribuer à établir une présence permanente de l’homme sur la Lune, et à préparer la visite d’autres astres (Mars évidemment est en ligne de mire) pour toujours faire avancer l’exploration spatiale. Que cela soit dans la recherche publique, dans l’industrie ou en agence, du moment que je suis tourné vers cet objectif peu importe la structure.